Décidemment, les gâteux qui siègent à la cour de Cassation, m'étonneront toujours. La dernière en date : ils refusent de transmettre des dossiers au Conseil Constitutionnel pour des motifs pour le moins fallacieux.
Le pire, c'est que le motif existe en droit ! Mais ils ont usé d'une logique qui échappe à nos plus grands consitutionnalistes, dont M. Carcassonne, co-auteur de cet article, fait indéniablement partie.
Par sa démarche éhontée, la cour de Cassation se sert du droit communautaire pour contester les avantages liés à la question prioritaire de consitutionnalité ! Elle veut donc saborder une réforme juste sous de tels artifices.
Un article du journal 'Le Monde' daté du 23 Avril 2010
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La Cour de cassation à l'assaut de la question prioritaire de constitutionnalité
On soupçonnait la Cour de cassation d'avoir accueilli de mauvaise grâce la désormais fameuse question prioritaire de constitutionnalité (QPC), introduite par l'article 61-1 de la Constitution. Mais nul n'imaginait que cela la conduirait à renouer avec les traditions qui firent les beaux, puis les très mauvais jours des Parlements d'Ancien Régime, lorsque ces derniers refusaient de se plier à la loi. C'est pourtant ce qui résulte d'une décision, assez stupéfiante, rendue le 16 avril.
Parmi les nombreuses questions de constitutionnalité dont elle est déjà saisie, la Cour de cassation a choisi d'en traiter une qui contestait l'article 78-2 du code de procédure pénale comme contraire à la liberté de circulation consacrée par les traités européens et, partant, comme contraire à l'article 88-1 de la Constitution qui consacre la participation de la France à l'édification européenne.
Cela ne fait guère que trente-cinq ans que l'on sait, depuis la décision du 15 janvier 1975, que le Conseil constitutionnel refuse ce type de contentieux. En effet, le contrôle de constitutionnalité coexiste avec le contrôle de conventionnalité, sans que jamais le premier, réservé au Conseil constitutionnel, ait prétendu absorber le second, qui relève dans l'ordre interne du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation.
Il n'y avait donc rien dans la question qui fût directement d'ordre constitutionnel. Elle n'était en outre ni nouvelle ni réellement sérieuse. La Cour de cassation devait donc en refuser la transmission au Conseil, comme son avocat général le lui avait proposé de manière solidement argumentée.
Au lieu de cela, qui relevait du bon sens, les juges de cassation ont bâti une argumentation qui laisse pantois. En premier lieu, ils ont affirmé que la question relevait à la fois du droit de l'Union et de celui de la Constitution, alors que l'on vient de voir que cette dernière affirmation va à l'encontre d'une jurisprudence stable et connue. En deuxième lieu et surtout, ils ont fait, au mépris du même principe, comme si le Conseil constitutionnel était susceptible de se prononcer sur la conformité de la loi au droit de l'Union européenne pour en déduire que sa décision interdirait dès lors aux juridictions de poser ensuite une question préjudicielle : le Conseil constitutionnel pourrait en quelque sorte " court-circuiter " la Cour de justice de l'Union européenne. Or, s'il fut une évidence sur laquelle tous les orateurs avaient insisté dans les débats préalables à la révision de la Constitution, c'était justement que la nouvelle QPC n'entamerait en rien le droit, et même le devoir, des juridictions de continuer à veiller au respect du droit communautaire notamment, au besoin en posant, à tout moment pertinent, une question préjudicielle. En troisième lieu, au terme de cette analyse déroutante, la Cour de cassation parvient à son but, à savoir considérer que la nouvelle procédure constitutionnelle elle-même pourrait être contraire au droit de l'Union : elle invite donc la Cour de justice à se prononcer sur celle-ci en l'interrogeant sur sa conformité au Traité sur le fonctionnement de l'Union.
On pourrait se situer sur le terrain purement juridique pour montrer combien la Cour de cassation suit un raisonnement infondé : si le constituant a tenu à donner à la question de constitutionnalité un caractère prioritaire, cette priorité n'a aucunement été conçue comme une supériorité sur le droit communautaire. Les deux contrôles sont différents et indépendants l'un de l'autre ; ils peuvent se succéder s'il y a lieu, la loi organique s'étant bornée à préciser dans quel ordre.
Mais on doit surtout se placer sur le terrain institutionnel pour apprécier la démarche prônée par la Cour de cassation. Elle consiste à mettre en cause une réforme constitutionnelle qui vise la protection des droits fondamentaux des justiciables, en laissant penser à la Cour de justice de l'Union qu'elle serait contraire au droit communautaire. Elle invite donc le juge européen à invalider une procédure qui vient d'être mise en place et installée, dans notre ordre juridique, au sommet de la hiérarchie des normes.
Cette " instrumentalisation " du droit communautaire contient un message non écrit : la Cour de cassation n'entend pas que le Conseil constitutionnel apprécie la constitutionnalité des lois en vigueur. Elle craint sans doute, sans que l'on comprenne trop pourquoi, d'y perdre son prestige. Cette appréhension détonne d'autant plus que le Conseil d'Etat ne la partage pas et joue déjà le jeu de la réforme.
En cette période où la justice est en débat, cette décision, qui tend à priver les Français de ce que la révision leur a enfin apporté, n'est sans doute pas la plus apte à leur redonner confiance dans leur système judiciaire.
Guy Carcassonne>Nicolas Molfessis
Guy Carcassonne
Professeur de droit public
à l'université Paris-Ouest Nanterre-la Défense
Nicolas Molfessis
Professeur de droit privé
à l'université Panthéon-Assas (Paris-II)