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Fillon inexact sur Clearstream, dont le procès était inconstitutionnel 03/02
Ce qui suit est proprement incroyable. Le premier ministre François Fillon était l’invité d’Europe 1, ce matin. Une question lui a été posée sur l’affaire Cleartream. Voici sa réponse telle que la restitue, avec exactitude car, auditeur moi même de cette interview, je n’en suis pas encore remis, une dépêche AP de 9h14:
S'exprimant pour la première fois sur l'affaire, le locataire de Matignon a estimé sur Europe-1 que « tous les gens qui connaissent le fonctionnement de la justice (...) savent que l'appel était automatique, il était obligatoire (...) Ce qui aurait été anormal, c'est qu'il n'y eut pas d'appel". »
Il est saisissant et stupéfiant d’entendre un chef de gouvernement s’exprimer de manière aussi fausse sur le fonctionnement de la justice du pays qu’il dirige. La justice et ses mécanismes expriment le degré d’une civilisation d’une société. C’est pour cela que le formalisme des procédures est important, qu’il doit être respecté, et parmi toutes les tâches d’un gouvernement, s’attacher à ce que ceci soit effectif n’est pas la moindre de ses missions.
Aussi, entendre le premier des ministres dire que l’appel d’un jugement est « automatique » et « obligatoire » ne peut que susciter un mouvement d’effroi. Est-il possible que François Fillon soit à ce point ignorant des procédures? Ou bien, l’emploi inexact des mots trahit-il ici une pensée bien réelle? Celle qui fait des magistrats du parquet des agents dociles du pouvoir?
Si cette seconde interprétation était vrai, et beaucoup de choses suggèrent qu’elle l’est, on peut alors déduire la marge de manoeuvre qui était celle du procureur Jean-Claude Marin jeudi après-midi, après le verdict du tribunal correctionnel concernant Clearstream. Elle était nulle, évidemment. A sa manière ce matin, le premier ministre nous a sans doute livré une vérité gouvernementale très éloignée du propos de Michèle Alliot-Marie qui assurait dimanche que le procureur n’avait reçu « ni instruction, ni incitation ».
En prenant au premier degré les mots de François Fillon, Jean-Claude Marin n’avait d’autre choix que celui de l’appel, « automatique », « obligatoire ». Formellement, nous le savons tous, c’est faux, archi-faux, totalement faux. Un appel, dans le droit français, tel qu’il résulte des procédures mises au point par le législateur, est facultatif et non pas mécanique, possible et non pas obligatoire. Que dit le pouvoir de lui même quand il s’affiche si peu soucieux des formes?
A ce propos autre chose qui me trotte dans la tête depuis longtemps, et qui concerne toujours la forme. Jamais Dominique de Villepin n’aurait dû comparaître devant le tribunal correctionnel dans le dossier Clearstream. Les deux premiers alinéas de l’article 68-1 de la constitution de 1958 l’établissent très clairement
Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
Le tribunal correctionnel est incompétent pour juger les actes d’un ministre. Or, durant toute l’instruction, puis ensuite durant le procès, ce sont bien les actes de Dominique de Villepin, successivement ministre des Affaires étrangères, puis de l’Intérieur qui ont été jugés. Le procès, pour dire les choses exactement comme elles sont, est inconstitutionnel. Il ne peut y avoir de constat plus grave. Avez-vous entendu un député, un sénateur, s’offusquer de cette situation? Non. Pourquoi? Parce que les parlementaires en France n’ont aucun sens de l’honneur, ce qui n’est pas grave, mais peu de souci aussi du respect des formes. Or, sans ce souci, les lois pèsent peu face à la folie humaine.
A-t-on entendu un ministre s’étonner de la situation? Non. Et les juges? Muets, eux aussi. Cependant, ces derniers pourraient bien jouer un tour pendable à Dominique de Villepin. Il suffirait qu’au terme du procès en appel, les magistrats composant la cour se déclarent incompétent pour que la Cour de Justice se trouve saisi du dossier Villepin dans l’affaire Clearstream. Le temps que cette dernière fasse son travail, nous aurons tous oublié depuis longtemps les détails de l’élection présidentielle de 2012.
Certains objecteront à ceci que Dominique de Villepin lui même avait souhaité comparaître devant un tribunal ordinaire, et pas devant la Cour de justice. Attitude singulière qui voit un justiciable choisir ses juges. Cette volonté personnelle ne pèse rien devant la loi et les formes de celles ci. Des actes ministériels ne peuvent être jugés que par la Cour de justice. Ceci est « automatique » et « obligatoire ».
On a toujours tort, et c’est toujours un tort pour tous, de ne pas respecter les textes et les procédures.