Le boulot d'un procureur (juge du parquet) est celui d'un avocat chargé de défendre les intérêts de la société. Celui du juge est de juger : pourquoi dès lors opter pour une formation similaire ? Cela n'a aucun sens et c'est ce qui est plaidé dans cet article...
Un article du journal 'Le Monde' daté du 22 Mai 2009
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Les procureurs français sont-ils vraiment des magistrats ?
Il est désormais nécessaire de séparer les juges du parquet
Cette question a fait la " une " du Monde du 8 mai, en écho aux débats intervenus le 6 devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Celle-ci était saisie d'un appel contre un arrêt Medvedev en date du 8 juillet 2008 qui avait une nouvelle fois condamné la France. " Force est de constater que le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire, au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion... Il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié. " La Cour dénie donc au procureur la qualité nécessaire pour prendre une décision de privation de liberté.
Tout le monde sait maintenant que, dans un procès, un procureur n'est pas un juge. Mais les juges européens nous disent que les procureurs ne sont pas une autorité judiciaire selon les standards de l'Europe. Or, en France, juges et procureurs font tous les deux parties de l'autorité judiciaire. C'est peu dire que cette décision a créé un choc chez les procureurs et chez les tenants de l'unité du corps judiciaire.
L'unité du corps judiciaire est une particularité franco-française puisée dans l'idéologie jacobine qui structure notre histoire et notre imaginaire politique. Traduisant dans l'architecture judiciaire la méfiance révolutionnaire à l'égard du gouvernement des juges, Napoléon a construit sur le modèle de l'armée une justice hiérarchisée et dépendante, placée sous la tutelle de l'exécutif avec, pour verrouiller le tout, un parquet rattaché à l'exécutif et, afin de renforcer ce verrou, le regroupement des juges et des procureurs dans un corps unique dénommé " autorité judiciaire ".
Mais cette construction jacobine ne résiste pas au temps et aux séismes qui la secouent et fragilisent la justice. Les crispations des relations entre les magistrats et la ministre de la justice en sont une illustration dépassant la personne de Mme Dati. L'unité du corps judiciaire brouille le principe de la séparation des pouvoirs au point de le rendre illisible.
Analysant dans son dernier rapport la crise de confiance en la justice de la part de l'opinion publique, de la sphère politique et des magistrats, le Conseil supérieur de la magistrature note que " les magistrats qui savent bien que l'unité du corps judiciaire est une fiction juridique - procédé consistant à supposer un fait ou une situation différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques - en viennent désormais à se dire que c'est une fiction tout court. "
Mais le rapport se contente de dérouler un catalogue de petites réformes sans enjeux et sans conséquences. Il ne suffit pas de constater que le principe de l'" unité du corps judiciaire est malmené par la réalité ", alors qu'il se fissure de toute part. Encore faudrait-il en tirer les leçons.
Depuis la fin des années 1970, les juges français sont devenus indépendants. Les réformes constitutionnelles ont confié à un Conseil supérieur de la magistrature renouvelé l'essentiel des pouvoirs de nomination des juges. Cette indépendance destinée à garantir leur impartialité est la conséquence de la montée du droit, et donc du juge, dans la régulation économique et sociale.
La libéralisation et la montée de l'individualisme ont fait exploser les volumes de contentieux, tout en élargissant les périmètres de la justice. Ainsi, sous l'influence positive de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'impartialité est-elle devenue une valeur cardinale pour les juges français qui se sont rapprochés des standards des pays démocratiques.
De leur côté, les procureurs ont connu une formidable évolution. De techniciens de la procédure pénale, ils sont devenus les pilotes de l'action publique. Immergés dans les politiques publiques locales, par le choix des poursuites et des modes de saisine des juges, ils déclinent dans leur ressort la politique pénale décidée par le gouvernement. Mais ils deviennent aussi de plus en plus dépendants du pouvoir politique qui intervient par des instructions générales et dans les affaires particulières.
Les nouvelles pratiques dans l'exercice du pouvoir de gouverner ne peuvent que renforcer le lien de subordination du parquet au pouvoir exécutif. Si l'on reprend les analyses de Pierre Rosanvallon, le processus de légitimation démocratique passe par la prise en compte par les gouvernants de la notion de proximité, supposant elle-même un double affichage : la compassion et la réactivité et son affichage, l'énergie.
Appliqué à la justice, ce nouveau mode de gouvernement privilégie le partage de l'émotion avec les victimes, l'affichage de volonté forte et sécuritaire et la stigmatisation des ratés judiciaires. On voit mal comment cette évolution du mode de gouvernement conduirait l'exécutif à renoncer à ses prérogatives pour donner une indépendance aux parquets.
Non seulement l'exécutif va en permanence faire pression sur la justice, mais il va accroître encore sa pression sur les procureurs au risque de les caporaliser. On ne s'étonnera pas que des procureurs généraux soient convoqués par la garde des sceaux pour avoir obtenu des résultats insuffisants dans la mise en oeuvre des peines planchers comme des préfets l'ont été pour les reconduites à la frontière.
Cette double évolution du rôle des procureurs et des attentes de l'exécutif rend urgente la remise en cause du principe de l'unité du corps judiciaire. Comment maintenir cette fiction alors que le juge doit être indépendant et impartial et que le procureur conduit une politique définie et contrôlée par le pouvoir politique. Dans ce contexte, loin de renforcer la justice comme le pensent de nombreux procureurs, l'unité du corps judiciaire devient un facteur aggravant de la crise de confiance.
Très contestée par une majorité de magistrats et plus encore par les plus jeunes, la séparation des carrières des juges et des procureurs est pourtant devenue nécessité. Une telle réforme figurait dans les recommandations de la commission parlementaire d'Outreau et dans le programme présidentiel.
En l'adoptant, la France ne ferait, que rejoindre ses partenaires en Europe (hormis l'Italie). L'interprétation de la question posée par la Cour européenne des droits de l'homme sur le statut des procureurs en France ne doit pas être filtrée par notre vision française du " politiquement correct ". Il est temps de clarifier notre architecture judiciaire, de cesser de poursuivre les chimères d'un parquet indépendant, de couper le cordon entre juges et procureurs et non entre les procureurs et le gouvernement.
Hubert DalleDaniel Soulez-Larivière
Magistrat
Avocat